La voie médiane
Si l’on se base sur nos traditions religieuses ou sur certaines approches ésotériques, il est courant de penser que les domaines subtils, à l’instar de l’au-delà, consisteraient en un agglomérat contrasté de royaumes lumineux et obscurs. D’ailleurs, une immersion dans ces dimensions amène rapidement l’expérienceur au constat que, plutôt qu’un monde aux êtres et aux vérités uniformes, le subtil est au contraire une sorte de kaléidoscope où se croisent, cohabitent, se confrontent des hiérarchies, des forces, des êtres, des lois et des informations aussi divers que variés.
Les mondes subtils ne sont pas bâtis d’un seul tenant. Chacun d’eux contient à lui seul des univers, des terres et des cieux tous plus différents les uns que les autres. Notamment les premières strates du plan astral dont les influx dynamiques interagissent, tout comme le physique subtil, avec le Monde de la matière.
Il est courant de rencontrer sur ce plan des êtres, lumineux ou ombresques, qui ont vocation la plupart du temps soit à nous orienter vers leur propre vision ordonnée des choses, soit à nous tirer vers les abimes et le chaos. Bien sûr d’autres influx s’y reflètent eux aussi, car les plans qui surplombent l’astral interagissent avec lui. Mais la singularité de ces êtres archétypaux ou fondamentaux se dilue souvent dans le bruit des informations qui circulent et se déversent sans discontinuer.
Difficile de s’y retrouver parmi le nombre pléthorique d’enseignements ou de doctrines qu’un tel plan recèle, surtout lorsqu’ils se revendiquent tous de la lumière et de la vérité. Ils sont porteurs d’une certaine forme de vérité il est vrai, mais une vérité relative, partielle, limitée par la nature même du plan astral qui ne reflète qu’une pâle lumière de la Création dans sa globalité. En ce sens, pour peu que l’on soit en contact avec ces formes d’informations, nous ne devons jamais perdre de vue que ce à quoi elles nous invitent ne doit en aucun cas être pris pour la totalité. Elles peuvent être une aide pour franchir ensuite d’autres pas, mais sûrement pas (à moins que nous souhaitions nous y arrêter et nous y enraciner pleinement) nous faire basculer d’un seul tenant vers des compréhensions plus vastes et universelles – pour ne pas dire transcendantes.
Aussi curieux que cela puisse paraître, tous ces plans que nous considérons tels des espaces infinis et immanents sont au contraire circonscrits aux limites d’un champ fini et en évolution. Tout au sommet de cette Création, l’expérienceur peut découvrir la voie vers une autre réalité des choses, sans forme, que certaines traditions qualifient de supracosmique. Là se trouvent les premiers aspects du Divin transcendant. Ce dernier enveloppe de toutes parts la Création que nous connaissons et, bien qu’elle fut le fruit de son essence, bien qu’il la fasse tendre vers une destinée qui nous dépasse, il la laisse suivre les orientations de sa propre nature.
Ainsi les plans subtils ne sont-ils pas des espaces au sein desquels une vérité absolue organiserait tout ce qui existe autour d’un même fondement. Les êtres, les forces, les mondes suivent des trajectoires et des modes qui leurs sont propres.
Dès qu’une ouverture intérieure commence à émerger en lui, l’expérienceur découvre et prend conscience de ces jeux de forces émanant des plans ; quand ces derniers ne le confrontent pas. Il se retrouve assez souvent en prise avec les grandes dualités que nous connaissons et qui animent le monde (notamment le bien / le mal). Il est également sollicité, assez rapidement d’ailleurs, par l’attention et l’intérêt d’êtres subtils qui se feront forts de lui expliquer comment fonctionnent les choses, pour quoi et vers quoi.
S’il veut s’extraire des enjeux duels qui font encore la trame existentielle de tous ces mondes, la possibilité lui en est donnée. Il possède en lui, pourtant à son insu bien souvent, la capacité de se retirer des dualités pour se tourner vers l’Origine et plonger ses racines en elle. Cette potentialité tient au fait qu’il soit lui-même habité par l’âme, parcelle de lumière. Autant les êtres originaires des mondes subtils sont limités par la nature même du plan qui les a vus naître, autant l’homme porte en lui cette parcelle vivante et immanente qui lui permet de s’élever et de s’immerger dans la nature dont il est issu : le Divin.
L’homme se pense inférieur aux êtres qui résident dans les mondes subtils ; en réalité sa nature profonde et spirituelle les dépasse en tous points. Il est porteur de quelque chose de vivant : une étincelle émanant de la transcendance. Il est un pont entre l’Absolu et le monde de la matière. Il est un visage de l’Eternel, bien « supérieur » à toutes les hiérarchies qui foisonnent sur les plans subtils.
La voie médiane consiste à prendre conscience qu’en tant qu’éclat de l’Infini, l’âme, l’homme a la capacité de créer sa propre réalité. Il dispose en lui-même des ressources pour transformer les choses, et celles de créer. A son insu, il est tenu par des forces intermédiaires qui puisent dans ses capacités intérieures pour les exploiter à leurs propres fins, et pousser l’humanité – créatrice par nature – à faire du monde un territoire à leur image.
Les racines spirituelles de l’homme plongent dans un Infini qui réside au-delà des dualités inhérentes à la Création. Elles font de lui une parcelle de la multitude qui marche et s’expérimente dans l’univers et sur la Terre, afin de donner forme aux desseins tenus secrets qui sous-tendent l’existence. Il n’est pas une pauvre créature, perdue dans un coin reculé de l’espace et du temps, seule au milieu de nulle part. Il est une goutte de l’Infini faite homme dans le monde de la matière, et le Divin marche avec lui…
2005 | Aïlango