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Entre crise mondiale et évolution

Depuis de nombreuses années, nos civilisations se confrontent à des difficultés aussi diverses et variées que sans précédent. Des crises et des conflits, nous en avons beaucoup traversé au long de l’histoire bien entendu. Mais force est de constater que, de nos jours, la conjonction des enjeux climatiques, environnementaux, énergétiques, économiques, sociaux, politiques ou religieux nous place face à des défis – n’ayons pas peur des mots : « d’une déconcertante complexité ».

Aux portes du XXIème siècle, l’Humanité possède les moyens nécessaires à une refonte des systèmes sur lesquels elle s’est autrefois construite. Qu’il s’agisse de connaissances scientifiques, de technologies, de finance, d’outils de production : tout est là. En revanche la révolution industrielle apparue fin XVIIIième, celle-là même qui donna naissance au productivisme et à l’hyper consommation, serait-elle à ce point gravée dans la conscience collective que le seul avenir possible serait une version « écologisée » du monde actuel ? Devrions-nous considérer nos modes de vie et leurs résultats comme des modèles intemporels, ou comme une étape qui nous pousserait bon gré mal gré vers un monde plus « harmonieux » ? Sera t’il question d’une « adaptation » (ce que nous entendons la plupart du temps par « refonte » ou « transition ») ou prendrons-nous la mesure de l’incontournable « mutation » qui nous attend ?

Ne nous leurrons pas : les problématiques sans cesse croissantes auxquelles nous nous confrontons sont le résultat de nos propres choix, de nos propres modes de vie et d’être. Par la nature même de cette causalité, il n’y aura pas de « mutation » sans un changement profond de conscience. Que nous brisions quelque chose ou blessions quelqu’un avec un objet écoresponsable plutôt qu’avec un sabre laser ne fera pas de nous un humaniste ou un écologiste pour autant. Cela fera de nous un être destructeur ou violent. Les moyens que nous possédons ne font pas du monde ce qu’il est : c’est la façon dont nous les utilisons, la conscience avec laquelle nous les mettons en œuvre qui lui donnent corps.

Fort heureusement, les signes avant-coureurs d’une conscience nouvelle émergent peu à peu sur la ligne d’horizon. Ils sont moins audibles que le bruit des masses certes, plus discrets, ils tâtonnent encore certes aussi, mais ils sont là. En silence ils creusent des sillons délicats dans nos sociétés, au gré des circonstances et des rencontres. Ils tracent avec modestie des chemins vers d’autres perspectives. Sans oublier l’aspiration à une meilleure répartition des ressources et des richesses, à une justice sociale plus harmonieuse, à une économie réellement au service des personnes. Le rejet, sinon global du moins de plus en plus affirmé, des conflits ou des guerres,… Autant d’indices qui témoignent, en tout cas nous l’espérons, de la promesse d’un avenir plus radieux et serein qui se cherche.

Malgré ça, comme si la vie elle-même se jouait de nous avec un sens aigu du contradictoire, les résistances de « la vieille Mécanique » n’ont jamais été aussi virulentes et prégnantes. Il va de soi que « ce n’était pas mieux avant », bien sûr. En revanche nos connaissances et nos avancées dans tous les domaines, combinées à un sens approfondi de l’Histoire, devraient théoriquement nous éclairer sur les voies que nous empruntons au présent. Nous « savons » ce que nos modes de fonctionnement ont produit. Nous sommes les héritiers de ce qui a été construit ou détruit avant nous. Ne serions-nous pas censés tirer les leçons du passé pour tendre vers un meilleur ?

Oui, et pourtant : dans son ensemble, l’Humanité a rarement été aussi vulnérable et déboussolée qu’en ce début de vingt et unième siècle. Nous sommes submergés par le bruit, le mouvement, l’agitation, traversés par un flux incessant d’activités et de préoccupations multiples. Comme si, parce que la nature avait horreur du vide, nous n’aurions pas d’autre choix que d’occuper le temps et l’espace pour ne surtout pas s’arrêter et se poser la seule question qui vaille peut-être vraiment : quel est le sens de tout ça…?

Nombre d’entre nous le ressentent, le constatent et/ou l’expriment : les modèles sur lesquels nos civilisations se sont développées tournent en rond. Il se délitent lentement, inexorablement, le temps d’un effondrement à la fois silencieux et assourdissant. Et bien que nous en percevions collectivement le danger, nous ne bougeons presque pas – si peu en tout cas. Rien n’est sérieusement entrepris au service d’une mutation intelligente vers un « autre chose » – ou si peu là aussi. Nous voici malgré nous parvenus à l’heure des constats, au bilan, à la frontière vers un « nouveau monde ». En tout état de cause : l’énergie et la conscience dont nous disposons devraient être dorénavant orientées, plus que jamais auparavant, de telle façon qu’elles œuvrent pour la Vie plutôt qu’elles ne la détruisent ou ne la circonscrivent.

Les personnes réceptives, quelques traditions en témoignent elles aussi, savent que dans les coulisses du côté formel agissent des forces nées depuis la nuit des temps. L’atavisme, l’obscurité et l’inconscience apparente qui conditionnent la nature matérielle ; en premier lieu. Les forces dites « involutives », antérieures à l’homme, qui puisent leurs capacités dans l’ignorance et la nature instinctive pour s’opposer à toute évolution ; d’autre part. Et enfin, tout aussi surprenant que cela semble être : les « dieux » ; ces divinités « surmentales » qui, du haut des sommets, projettent leur propre vision de l’évolution dans le Monde pour que ce dernier lui donne forme. Ces différents vecteurs de forces conditionnent notre perception du réel, façonnent notre relation à l’existence, participent à l’écriture d’une histoire qui n’est pas toujours la nôtre, utilisent les faiblesses de nos natures humaines à leurs propres fins. Elles participent, du moins peuvent-elles les influencer, aux avancées ou aux reculs qui se produisent mondialement. Comme elles se servent également des enjeux et des crises auxquels l’Humanité se confronte, à l’instar d’opportunités.

Ce qui fait défaut à notre monde moderne relève du “pouvoir”. Le pouvoir conscient de créer, de choisir et d’agir. C’est pourtant ce “pouvoir” qui sculptera le visage du Monde de demain. Il le modèlera pour autant que les moyens au service de son « agir », et qui sont les nôtres, soient enfin libérés.

Appeler au changement nous interroge finalement sur la nature des moyens qui sont à notre disposition et sur leur véritable destination. Tandis que nous aurions besoin de ressources financières, énergétiques et matérielles pour faire émerger des modes de vie et d’action nouveaux, ces moyens sont étrangement écartés pour servir les desseins nébuleux d’un petit nombre ou de grandes puissances. Tout cela nous le savons, il va de soi… En revanche sommes-nous pleinement conscients des enjeux qui se tissent à l’arrière-plan de ces rapports de force ?

Il s’agit là d’une étape civilisationnelle de « friction »… Un vieux monde arrive à son terme, et avec lui tout ce qui a participé à son objectivation s’éteint lui aussi. Dans un même temps un monde nouveau cherche à émerger, apportant avec lui une conscience et une Humanité nouvelles.

Bien sûr l’évolution, au sens où nous l’entendons, prend avant tout racine au coeur de soi. Néanmoins toute évolution doit tôt ou tard s’objectiver, prendre forme, concrétiser un changement dans nos consciences et dans la matière. La crise mondiale dans laquelle nous sommes engagés sera la pierre d’angle de cette nouvelle phase évolutive.

1999 | Aïlango

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